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Entrée dans la sexualité : évolution des normes et des pratiques


Dans les générations récentes, ce n’est plus l’institution matrimoniale qui construit le couple et autorise la sexualité, mais l’échange sexuel qui fait exister le couple. Cependant, le modèle sexuel inscrit toujours prioritairement la sexualité dans la conjugalité, surtout pour les femmes. Le contexte normatif genré est structuré autour de l’opposition entre la sexualité féminine qui serait dans le registre de l’affectif et des sentiments et la sexualité masculine qui se caractériserait par des « besoins sexuels ». Ainsi, près de 53 % des femmes évoquent que l’amour ou la tendresse sont à l’origine de leur premier rapport, quand 47 % des hommes évoquent avant tout le désir sexuel (Bajos et al., 2018). Ce schéma normatif marque les biographies affectives et sexuelles, y compris celles des jeunes, et permet de comprendre les différences en matière de sexualité entre les femmes et les hommes, dès l’entrée dans la sexualité.


Entrée dans la sexualité : évolution des normes et des pratiques

 

Dans les générations récentes, ce n’est plus l’institution matrimoniale qui construit le couple et autorise la sexualité, mais l’échange sexuel qui fait exister le couple. Cependant, le modèle sexuel inscrit toujours prioritairement la sexualité dans la conjugalité, surtout pour les femmes. Le contexte normatif genré est structuré autour de l’opposition entre la sexualité féminine qui serait dans le registre de l’affectif et des sentiments et la sexualité masculine qui se caractériserait par des « besoins sexuels ». Ainsi, près de 53 % des femmes évoquent que l’amour ou la tendresse sont à l’origine de leur premier rapport, quand 47 % des hommes évoquent avant tout le désir sexuel (Bajos et al., 2018). Ce schéma normatif marque les biographies affectives et sexuelles, y compris celles des jeunes, et permet de comprendre les différences en matière de sexualité entre les femmes et les hommes, dès l’entrée dans la sexualité.

 

SEXUALITÉ DES JEUNES ET ÉVOLUTION DES NORMES

Traditionnellement, les parents, les adultes et les institutions (surtout l’école et l’église) contrôlaient l’accès des jeunes à la sexualité. L’objectif était d’empêcher la sexualité des filles tout en encourageant l’initiation des garçons avant le mariage.

Depuis la fin du XXe siècle, l’entrée dans la sexualité s’est largement modifiée. La place des adultes et des institutions est moindre, et celle des pairs bien plus importante ; de nouvelles formes de contrôle, plus intériorisées, ont vu le jour. Ainsi, petit à petit, l’obligation de la virginité jusqu’au mariage a disparu (au cours des années 1960) et on attend désormais socialement que la sexualité des femmes s’inscrive dans un cadre sentimental et amoureux. La légalisation de la contraception a été libératrice dans la mesure où elle a autorisé les femmes à utiliser légalement des méthodes médicales de contraception, mais dans le même temps, c’est sur elles que repose la charge des enjeux de santé sexuelle et reproductive : maîtrise du calendrier des naissances, gestion de la procréation et tous les coûts y afférant (financiers, organisationnels, sanitaires, etc.). L’émergence du VIH/sida dans les années 1980 et l’impératif de protection des rapports sexuels n’ont pour autant pas eu comme conséquence de répartir les responsabilités et les rôles, les femmes se montrant toujours garantes de la protection de leurs partenaires.

 

LA LENTE RECONNAISSANCE DE LA SEXUALITÉ DES JEUNES DANS LES POLITIQUES PUBLIQUES

Le vote de la loi Neuwirth en 1967 légalisant la contraception (et dont les décrets d’application sont passés seulement en 1972) marque le début de la reconnaissance de la sexualité des jeunes et a fait émerger la sexualité dans le débat public. Mais c’est plus clairement à partir des années 1973-1974 que l’on s’est intéressé à la sexualité des jeunes, au moment du passage de l’âge de la majorité civile de 21 à 18 ans, en mettant en place le Conseil supérieur de l’information sexuelle, de la régulation des naissances et de l’éducation familiale. La libéralisation de la contraception, associée à la diffusion de nouvelles méthodes (plus efficaces) et la possibilité de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), s’est accompagnée d’une déconnexion accrue entre la sexualité et la fécondité. L’état « normal » est ainsi devenu celui où l’on n’est pas exposé au risque d’une grossesse non désirée.

Les études actuelles s’accordent sur l’influence déterminante qu’exerce la reconnaissance sociale de la sexualité des jeunes femmes à la fois sur leur perception du « risque » de grossesse, sur leur accès à l’information et à la contraception et sur leur pratique contraceptive (Bajos, Bozon, 2008). Ainsi, dans les pays où l’accès des adolescents à la contraception est le plus largement autorisé par la loi, les jeunes se protègent davantage contre les grossesses non prévues. Les pays qui cherchent à mettre en place des politiques basées sur le retard de l’âge au premier rapport sexuel prennent en revanche le risque de détourner les jeunes sexuellement actifs d’une pratique contraceptive (Bajos et al., 2004).

 

 

SEXUALITÉ DES JEUNES ET ÉVOLUTIONS STATISTIQUES

L’initiation sexuelle s’étend généralement au cours de la scolarité dans le secondaire et demeure donc largement dissociée des préoccupations de mise en couple, beaucoup plus tardives. Au collège vient le temps du premier baiser et des premières caresses, au lycée celui du premier rapport sexuel. L’âge médian au premier baiser s’est considérablement abaissé au cours de la seconde moitié du xxe siècle jusqu’à se stabiliser depuis une trentaine d’années à 14,1 ans pour les femmes et à 13,6 ans pour les hommes les plus jeunes (Bajos, Bozon, 2008). Quant à l’âge médian au premier rapport sexuel des jeunes, on constate qu’il n’a pas connu d’importante variation depuis trente ans : autour de 17,6 ans pour les filles et à 17 ans pour les garçons né·e·s entre 1996 et 1998 (Baromètre santé 2016). Les données du Baromètre santé 2016 de Santé publique France relatives au déroulement du premier rapport montrent que la grande majorité des jeunes âgés de 18 à 29 ans en 2016 déclarent avoir souhaité que ce premier rapport se déroule « à ce moment-là » (c’est le cas de 87,6 % des femmes et de 92,8 % des hommes). Toutefois, les femmes rapportent toujours plus souvent que les hommes avoir cédé aux attentes de leur partenaire (10,7 % versus 6,9 %), voire avoir été forcées lors de ce rapport (1,7 % vs 0,3 %). Les raisons avancées par les jeunes à ce premier rapport mettent en lumière des différences sexuées qui persistent dans le temps, car même si les âges d’entrée dans la sexualité se rejoignent, les expériences féminines et masculines restent distinctes. Les motifs déclarés autour du premier rapport pour les garçons renvoient d’abord au désir (47 % vs 25,8 % des filles) quand les filles évoquent avant tout l’amour et la tendresse (53,6 % vs 25,9 % des garçons). Enfin, notons que dans un contexte hétéronormatif, les expériences d’entrée dans la sexualité des jeunes se font rarement avec des personnes de même sexe (cela concerne 1 % des femmes et 3,2 % des hommes), Pour autant, dans la suite des parcours de vie, on observe une diversification de la sexualité.

 

Information et éducation à la sexualité à l’école : ce que dit la loi

« L’éducation à la sexualité est inscrite dans le code de l’éducation (articles L. 121-1 et L. 312-16) depuis la loi no 2001-588 du 4 juillet 2001. L’article L. 312-16 est ainsi libellé : ”Une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène. Ces séances présentent une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes. Elles contribuent à l’apprentissage du respect dû au corps humain […].”

Il s’agit d’une démarche éducative transversale et progressive, qui vise à favoriser l’estime de soi, le respect de soi et d’autrui, l’acceptation des différences, la compréhension et le respect de la loi et des droits humains, la responsabilité individuelle et collective, la construction de la personne et l’éducation du citoyen. Son approche globale et positive doit être adaptée à chaque âge et à chaque niveau d’enseignement. […] L’éducation à la sexualité se trouve à l’intersection de plusieurs champs : le champ biologique […] ; le champ psycho-émotionnel [… et] le champ juridique et social […]. Il s’agit de combattre les préjugés, notamment ceux véhiculés dans les médias et sur les réseaux sociaux à l’origine de discriminations, stigmatisations et violences. »

Extraits du BO no 33 du 13 septembre 2018 ; circulaire no 2018-111 du 12-9-2018.

 

INFORMATION ET ÉDUCATION À LA SEXUALITÉ : DES DIFFICULTÉS ENCORE NOMBREUSES

Toutes les études récentes montrent que les politiques d’information et d’éducation à la sexualité restent extrêmement difficiles à mettre en œuvre dans les établissements scolaires. Des difficultés matérielles importantes entravent l’organisation des séances d’éducation à la sexualité : intégration dans le programme et la vie scolaire, disponibilité des salles et créneaux horaires, financement des actions, articulation entre l’équipe éducative et les intervenants extérieurs… Pourtant, la loi prévoit une obligation de faire (voir encadré). Et cette situation est encore plus délicate en dehors du système éducatif et dans les cursus spécifiques, comme par exemple les centres de formation d’apprentis (CFA). Les séances d’éducation à la sexualité y sont pourtant nécessaires, en particulier pour les jeunes qui sont d’une manière ou d’une autre éloignés du système scolaire, par exemple ceux pris en charge au titre de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

 

POUR ALLER PLUS LOIN

Amsellem-Mainguy Y., Rault W. (coord.), 2012, dossier thématique « Jeunesse et sexualité : expériences, espaces, représentations », Agora débats/jeunesses, no 60
Bajos N., Bozon M. (dir.), 2008, Enquête sur la sexualité en France Pratiques, genre et santé, Paris, La Découverte
Bajos N., Guillaume A., Kontula O., 2004, Le comportement des jeunes Européens face à la santé génésique, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe, coll. « Études démographiques », no 42
Bajos N, Rahib D, Lydié N., 2018, « Genre et sexualité. D’une décennie à l’autre », in Baromètre santé 2016, Saint-Maurice, Santé publique France
Baromètre santé 2016, Santé publique France
Blanchard V., Revenin R., Yvorel J.-J., 2010, Les jeunes et la sexualité. Initiations, interdits, identités (XIXe-XXIe siècle), Paris, Autrement



Yaëlle Amsellem-Mainguy, chargée d’étude et de recherche, INJEP